Question qui semble faire débat depuis quelques semaines (voire mois) dans la sphère littéraire. Aussi je préfère vous donner mon opinion une bonne fois pour toute, et après je ne reviendrai plus dessus.
Pour être clair, ce n’est pas qu’un/e auteur/ice ne peut pas écrire sur l’esclavage, c’est que dans 97 % des cas ce sera mal fait (period). Je vous explique :
Tout est une histoire de biais. Des biais on en a tous. Certains sont ancrés en nous depuis petits et ça peut être difficile de s’en défaire. Quand vous allez commencer à écrire votre petits livres sur l’esclavage, combien même vous aurez fait des recherches en amont, certains biais vont ressortir. Parmi lesquels on compte :
Le White saviorism (un très gros complexe en France je trouve) : l’esclave ne sera libéré que quand il rencontrera un blanc (tiens tiens c’est bizarre) qui l’aidera dans sa quête inatteignable de la liberté. D’ailleurs une émancipation, ne peut pas se faire sans l’homme blanc. Et si émancipation il y a elle doit se faire en accord avec l’homme blanc.
Le Misérabilisme : un truc que je déteste peu importe le sujet abordé. Se servir d’un pattern pour faire pleurer dans les chaumières, inspirer la pitié, j’ai remarqué que c’est quelque chose qui plaît beaucoup au lectorat blanc. Et c’est d’ailleurs pour ça que ce sont principalement les livres qui parlent de racisme/de violences policières/d’injustice qui sont encensés par la critique. Sauf que pour beaucoup d’entre nous ce n’est pas de la fiction. C’est réel. Et ça fait peur.
La dimension de l’Autre. Vous allez très probablement le faire à un moment donné dans votre roman. Vous allez donc décrire une façon de manger qui n’est pas la même que la vôtre, des coutumes qui sont différentes de la vôtre, ses cheveux qui ne sont pas les mêmes que les vôtres (indomptable, incoiffable…)avec pour message « regardez il est différent mais ça ne me pose pas de problème ». Moi ça me pose un gros problème. Je ne suis pas cet Autre que vous décrivez. Le problème ici c’est que les personnes blanches sont décrites comme la neutralité ou la norme et les autres personnes populations c’est l’Autre. Cette dimension de l’Autre est généralement lié à l’Exotisme, notion souvent utilisée pour décrire un personnage. Un « il avait les yeux perçants » pour une personne blanche va devenir un « ses yeux étaient aussi profonds qu’une panthère en pleine concentration » (yeurk !). Si c’est une jeune femme vous allez l’assimiler à une gazelle pour souligner sa féminité (🙄), si vous souhaitez mettre en avant la force d’un homme vous parlez de l’agilité d’un guépard. C’est bon on en a marre en fait. On est des humains.On veut être décrit comme des humais.
Outre les raisons citées ci-dessus, il y a d’autres aspects qui me dérangent. Je trouve ça quand même interrogeant que parmi la MULTITUDE de sujets possibles certains veulent absolument se concentrer sur l’esclavage ! Qu’y gagnent-ils au final ? Vous avez un tel privilège que vous n’imaginez même pas que votre propre corps puisse être réduit en esclavage. Ni le vôtre ni celui de vos ancêtres. Vous êtes tellement éloignée d’une telle réalité qu’après on se retrouve avec des romans qui décrivent l’esclavage comme une aventure ! Hihi regardez ce jeune enfant qui fuit la violence extrême, la mutilation, les viols, les actes barbares, la déshumanisation il est si courageux vous ne trouvez pas !? Oh mon Dieu quel exemple, quelle belle histoire 😮 !
Et bizarrement, il n’y a pratiquement que des auteurs blancs qui sont encensés quand ils parlent d’esclavage ! Comme c’est étrange. Vous savez pourquoi ? Parce qu’on considère (et pas seulement en littérature) qu’une personne blanche est neutre/objective et donc qu’elle pourra mieux appréhender un tel projet puisqu’elle ne se laissera pas influencer par ses affects (ce qui est évidemment un biais raciste).
Mais aussi parce qu’à chaque fois qu’un auteur blanc publie une histoire sur l’esclavage, c’est un auteur noir qui n’aura pas la possibilité de le faire (un livre jeunesse qui parle de l’esclavage ? Ah non on a déjà ça en rayon !) Ça revient à ne pas nous laisser la possibilité d’écrire notre histoire avec des mots justes (cf point 1, 2 et 3 plus haut).
J’ajoute à tout ça que les écrits restent. Si les auteurs blancs continuent de décrire les noirs de façon péjorative combien même ce n’est pas intentionnel, ça va rester. Ça peut même se propager et ça va venir renforcer tous les autres livres qui ont été (mal) écrit auparavant. Et moi après j’aurai du mal à expliquer à ma copine pourquoi elle ne peut pas mettre sa main dans mes cheveux comme ça, parce qu’elle a envie. J’aurai des difficultés à expliquer aux inconnus que c’est discriminant quand on me dit que j’ai l’air sage et calme pour une noire, alors même que lesdites personnes pensaient me faire un compliment. Parce que tout ce vous lisez/voyez dans les séries et dans les iconographies va venir légitimer et soutenir ces pensées et ces actes.
C’est principalement pour ces raisons qu’on n’aime pas quand les auteurs blancs écrivent sur l’esclavage. Ça ne fait pas de nous des connasses pour autant (oui c’est totalement visé).
Il n’est même pas question d’interdit ici, et je trouve bizarre qu’une des populations qui a le plus de privilèges au monde se révolte dès qu’elle pense qu’on lui interdit quelque chose. On demande juste pour une fois une mise en retrait par rapport à un sujet qui nous concerne nous et pas vous, mais vous le prenez comme un affront, comme une restriction de votre sacro-sainte liberté d’expression. Pourquoi ?
Quelques ressources supplémentaires
- Le blog de Pauline (qui écrit formidablement bien) : Un invincible été
- Radio Canada : Peut-on hériter des traumatismes de l’esclavage ?
- Non nous ne sommes plus en esclavage mais oui, nous savons de quoi nous parlons : La mémoire épigénétique
Merci pour cet article clair et percutant!
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C’est très bien expliqué et très clair, tu mets des mots précis sur ce que je ressentais confusément sans savoir l’expliquer. J’adore lire ce genre d’article car j’ai souvent du mal à argumenter de manière incisive et pertinente, ça me rassure d’avoir ce genre de contenu sur lequel m’appuyer ou auquel renvoyer quand on parle de ce sujet 😉
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Article super intéressant et je suis bien d’accord. Je rencontre beaucoup trop de Misérabilisme, un terme que j’apprends pour le coup mais qui ne m’est pas inconnu. C’est ce qui plaît et quand un roman sort de ça, alors même que ses personnages sont issus de minorité, ce n’est pas reçu pareil. Je vais de ce pas lire les autres articles que tu as cité !
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Merci beaucoup pour cet article (découvert grâce à Pauline)
Cela fait plusieurs fois déjà que je ressens un réel malaise en lisant en effet des écrits bourrés de clichés et de flamboyantes descriptions rédigés par des personnes blanches sur d’autres peuples.
Et en parallèle c’est la lecture d « Americanah » qui m’a vraiment permis de prendre conscience de ça, livre grâce auquel j’ai honteusement découvert que Michelle Obama n’avait pas les cheveux lisses par nature.
Je suis mortifiée de constater à quel point j’ai été élevée dans un esprit de suprématie blanche par des gens qui se considèrent pourtant comme bienveillants et non racistes.
Bref, dorénavant, j’ai décidé de favoriser la lecture d’auteur.ice.s non occidentaux et/ou de peuples originaires afin de déconstruire le plus possible mes stéréotypes.
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Ton article à le mérite d’exposer très bien, le ressenti et les causes de ce ressenti, ainsi que les pièges, clichés et autres qui peuvent parsemer ces ouvrages. Après beaucoup de personnes décendentes d’esclaves ont écrits dessus également… Si on applique ce raisonnement à tous les sujets graves et à tout ce qu’on fait les homme de honteux/inacceptable, on ait pas sorti de l’auberge et on s’approche de pensées assez dangereuse.
La réflexion, l’éducation et la capacité de choisir et primordial. Je ne suis pas contre, bien au contraire de mettre en lumière /en avant les ouvrages écrits par des personnes ayant subi ou étant descendants d’esclaves, dans l’éducation nationale, par l’académie française, dans les émissions culturelles ect…
Aristote parlait et écrivait déjà sur l’esclavage….
Cordialement.
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